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19-11-2008

Tour des Highlands en kayak


SEPTEMBRE 2008, PATRICK FERRANDO ET FRANÇOIS CHOUVELLON RÉALISENT LA CIRCUMNAVIGATION DES HIGHLANDS AU NORD DE L’ECOSSE : 20 JOURS DE NAVIGATION HORS DU TEMPS…

 

Si l’Europe possède encore une nature sauvage à l’état pur, il faut la chercher dans les Highlands. La rude beauté des montagnes, le silence des champs de bruyère, les indescriptibles horizons, la côte excentrique, et bien sûr…la mer. Lumineuse ou sombre, bien lunée ou en colère, en tout cas farouche et vivante, la mer d’Ecosse est un terrain de jeu fabuleux pour le kayakiste de mer.

Il faut aller voir cette région au moins une fois dans sa vie, ce décor sans fin où tout s’oublie…
Mardi 2 septembre, nous posons avec impatience nos frêles esquifs sur une mer calme et accueillante, le Loch Linnhe se vide et le courant nous entraîne vers l’ouest, vers l’inconnu, vers une aventure qui va incontestablement marquer nos vies…

Nous tournons désormais le dos à Fort William, le rendez-vous est donné dans quelques semaines, d’ici là il va falloir aller de l’avant.

Nous savons que septembre est un mois délicat pour la réalisation de cette boucle, plus nous traînons et plus nous nous exposons à des risques de mauvais temps et à l’arrivée des tempêtes d’automne. Nous sommes conscients qu’il faut aller vite, exploiter au maximum les fenêtres météo, grignoter des kilomètres dès que cela est possible, et ainsi mettre toutes les chances de notre côté pour limiter ces longues négociations terriennes et désespérées avec le vent…
Nous bénéficions les premiers jours d’une météo assez clémente et d’un itinéraire sud-ouest relativement protégé du large.

Ainsi, nous sommes souvent partagés entre l’envie de prendre de l’avance pendant que la mer nous laisse le champ libre et la peur du problème physique; Car ce dont il faut se méfier le plus, ce sont ces traumatismes insidieux et latents de type articulaire ou tendineux qui une fois déclarés sont irrécupérables.
Nous faisons doucement connaissance avec le pays, sa beauté, sa rusticité. Nous rencontrons le vent, un compagnon d’infortune très présent ici. Lorsqu’il se lève, l’ambiance change, tout devient plus sinistre, plus agité, plus sombre. Vent et kayakiste n’ont jamais fait bon ménage et dans ces moments là je ferme ma capuche et m’isole de cette tourmente, je me déconnecte de la réalité et rejoins un monde imaginaire.

On peut vite se sentir persécuté par ce vent et vivre difficilement sa présence mais si l’on ne peut pas changer les choses, on peut, par contre, changer sa façon de les percevoir. Quant il souffle, c’est qu’il s’en va combler un vide quelque part, il fait juste son travail, il n’y a rien de personnel. Tout comme la mer et ses courants, ses déferlantes, ses caprices,…ce n’est pas un monstre qui cherche à t’engloutir dès que tu as le dos tourné, elle fonctionne d’une façon tellement rationnelle, tellement naturelle.
Et nous, on est là au milieu, on a décidé d’y être. Avec nos petites appréciations, objectives ou subjectives, notre expérience, nos prises de décision, notre responsabilité…
La nature ne doit pas être perçue comme une ennemie et ce genre d’aventure n’a rien à voir avec une confrontation : il ne faut pas aller contre, il faut aller avec.

 

Vertige d’une navigation engagée :
Au 8ème jour le constat est plutôt positif : nous avons réussi à naviguer tous les jours depuis notre départ. Chaque coup de vent nous a cueilli dans nos dernières heures d’effort et grâce à une moyenne d’environ 50km/jour nous sommes aujourd’hui à deux pas du cap Nord-Ouest : le cap Wrath. Il marque le mi-parcours de notre périple. Mais ce soir, nous sommes sous la tente assez tôt, pluie et fort vent d’Est nous impose un peu de repos.
9ème jour : Le coup de vent que l’on a pris hier sur la fin de notre navigation est passé. Ce matin, seule une petite brise de secteur Est persiste. Plus de pluie non plus mais un lever de soleil calme et reposant.

Nous plions le camp et embarquons avec prudence en attendant de découvrir ce que nous réserve la météo. Nous rasons la côte sous le vent pendant les deux premières heures. Vers le nord le ciel est encore bleu mais derrière nous tout est noir et l’obscurité gagne du terrain. Nous passons tranquillement le dernier petit cap, puis soudain il se dessine, majestueux, plein nord, à moins de 10 milles : le Cap Wrath. Une longue houle résiduelle de secteur ouest provoque de bons rouleaux sur la plage de Sandwood bay, le dernier endroit où il est possible de débarquer avant le cap. Au delà, ce ne sont que des falaises escarpées.

Déjà les nuages noirs sont sur nous, la pluie commence à tomber et le vent tourne sud. La brume nous masque maintenant le cap… il fait de plus en plus sombre, le vent forcit.
Faut-il tenter un débarquement sport sur cette dernière plage pour nous mettre à l’abri, ou faisons-nous le pari du cap dans des conditions incertaines ?

Je crois que l’engouement du défi autant que l’excitation de franchir dès aujourd’hui ce promontoire nous empêche de débarquer et puisque le vent et le courant sont avec nous, alors pourquoi pas ? Objectivement quels sont les risques ? Que le vent forcisse au-delà de 7 beaufort ? Fort peu probable !

Je réajuste mon buff jusque sous les yeux, je ferme la capuche sur laquelle la pluie résonne et nous prenons plein nord en direction du cap le plus exposé d’Ecosse. Le vent siffle dans nos oreilles et notre destination reste invisible à travers ce brouillard. Je regarde du coin de l’œil les derniers morceaux de plage sur lesquelles de gros rouleaux déroulent… Je connais ces moments de prise de décision, de choix, ces mélanges de peurs et d’incertitude, mais je sais aussi qu’en franchissant ses barrières psychologiques, cela me procure une exaltation sans pareil qui me fait grandir.
Mais est-ce bien raisonnable ? La question restera sans réponse…


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